« Fanfiction »

SNOOPY FOREVER

Nouveau genre littéraire très populaire, la fanfiction consiste à prendre un personnage célèbre ou fictif et à le faire vivre dans un cadre différent. La Presse a demandé à huit auteurs québécois d’écrire leur propre fanfiction, leur laissant le champ libre du sujet et du lieu.

Cette semaine, Suzanne Myre, auteure de Dans sa bulle et B.E.C., a choisi Snoopy.

Deuxième fois cette semaine que Charlie Brown m’apporte ma pâtée sans ma vitamine D. Il est frustré à mort, à cause de la dingue à Lucy, une sadique finie qui se donne des airs de mignonne et d’éminente psychiatre dans son kiosque à cinq cennes.

Encore hier, elle lui faisait son énième sermon sur la confiance, avant d’enlever le ballon de football à la seconde où il s’apprêtait à le frapper, et ça dure depuis 1950. Il est vraiment lent à apprendre, la sphère qui lui sert de tête doit être inapte à traiter les informations.

Linus ? Un insécurisé chronique, accro à sa doudou autant que son pouce l’est à sa bouche. Woodstock, moineau débile, débarque ! Je suis pas une place de stationnement ! Va donc te poser sur Pig-Pen et agite les ailes, ça pourrait le nettoyer un peu, l’éternel cochon. Y a que Peppermint Patty, la gouinette scotchée à son gant de baseball, qui montre du potentiel. Marcy la myope lui court après aveuglément, elle l’appelle M’sieur…

Les deux manquent un peu de féminité. Elles devraient prendre des leçons de Sally Brown, une adorable sotte qui souffre d’anxiété. Je crois que toute cette bande souffre de quelque chose, ils ont été victimes d’un manque de croissance avec le temps, pas seulement corporelle mais intérieure. Y a que moi qui rocke finalement, hein, Woodstock ? Je t’avais pas dit de dégager, toi ?

J’en ai marre de cette colonie de tarés. Marre de cette niche où je me donne l’air zen, couché sur le toit seulement parce que je manque d’espace à l’intérieur, depuis que j’ai installé mon cinéma maison et mon ordinateur. Ces consanguins sont assez divertissants mais après plus de 60 ans à les entendre gémir sur leur sort et les voir se martyriser les uns les autres, j’y trouve plus aucune inspiration.

Alors je vais tenter ma chance à… Los Angeles ! Why ? J’ai vu un truc dément sur l’internet hier, du sur-mesure pour moi ! Oui, je sais lire. Lucy, qui critique tout sauf sa petite personne, dit que je suis pas si intelligent que ça : « Tu remues les lèvres en lisant. » Si elle consultait le dernier numéro du Dog Psychology Today, une revue à laquelle je suis abonné et dont elle nie la crédibilité, elle s’excuserait en se prosternant.

Je lisais donc qu’on auditionne pour un film français qu’on tournera à L.A., The Artist. Ils cherchent un chien brillant, sûrement parce que l’acteur qu’ils ont choisi, un jardinier prénommé Jean, est insuffisant pour ameuter les foules et exciter les femelles. Les chiens sont vendeurs, bien plus que les chats, ces microbes qui envahissent la Toile et polluent YouTube à en vomir.

J’y vais. Je suis parti. Adieu, ma gang de malades. Désolé, Woodstock, tu peux pas être mon agent. T’as pas les compétences.

L.A., THE AUDITIONS

Je m’attendais pas à ça. Des douzaines de cabots ! Surtout des Jack Russell, ridicules avec leurs taches décoratives placées à la va-vite. Y’a un pèteux qui monopolise toute l’attention, avec son collier en cuir bio qui lui donne l’air chic. Il tourne en rond sur ses pattes arrière, tous les chiens savent faire ça ! Attendez qu’ils me voient faire le mort, des années de pratique sur ma niche ! Merde, le voilà qui fait le mort !

C’est qu’il a vraiment l’air mort… Peut-être qu’il l’est, ce con, après les pirouettes qu’il vient de se taper. Non, il l’est pas. Il se relève, tout le monde l’applaudit et crie Uggie, Uggie ! On lui donne un biscuit. J’ai faim, le voyage en roller m’a épuisé. Il faut que je m’approche, cette file est trop longue, je dois être le trentième. Pardonpardon, je veux juste saluer mon cousin beagle là-bas, pardon, merci.

Me voici en troisième place. Uggie continue à faire le fin finaud. Un grand type élégant, avec une moustache et des cheveux gominés, lui tapote le crâne. Je le reconnais, c’est le jardinier ! Il dit : « Ce sera lui, si ? » Pourquoi lui ? Il reste nous ! Il reste moi ! J’ai du potentiel ! Je suis beau ! Je sais lire ! Je prends de la vitamine D ! Qui est ce vieux monsieur flou à lunettes qui flotte vers moi ? Le producteur ? On me donne une chance ? C’est qui, c’est qui ? Schulz ! Je rêve ! Il est censé être mort ! Suis-je mort ?

Bisou sur ma tête, il dit des mots. Quoi ? Y’a trop de bruit ! : « Tu retournes à la maison, fiston. Woodstock m’a averti de ta fugue. Peanuts ne serait plus rien sans toi. » Son fantôme ?! Cet écrivaillon qui contrôle ma vie depuis un demi-siècle revient du néant pour empêcher mon émancipation ? Arrêtez-le quelqu’un ! On va où là ? Au secours ! Lâchez-moi, je suis un artiste, I am an artist !!! Uggie, je te hais ! Je te hais ! Ton film sera un flop, espèce de nain !

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